Le silence des vaincues – Pat Barker


RÉECRITURE DE L’ILIADE
GUERRE DE TROIE
FÉMINISME
HISTOIRE GRECQUE

Le silence des vaincues


DE QUOI ÇA PARLE ?

La guerre de Troie, mythe fondateur de toute la littérature européenne, commence par la banale histoire d’une reine enlevée à son époux par un autre homme. Mais, prisonnière du camp grec, une autre reine observe le destin du monde se jouer sous ses yeux : Briséis, la captive d’Achille, par qui la guerre basculera. Presque 3 000 ans plus tard, il est temps d’entendre sa voix – et à travers elle, peut-être, celle de toutes les femmes laissées muettes par l’Histoire et la littérature.

Titre de la VO : The silence of the girls

9782368125014


ET J’EN PENSE QUOI ?

Livre lu sur épreuves non corrigées reçues de la part des éditions Charleston en échange d’une chronique honnête.
Je les en remercie.

TW : viol, suicide, harcèlement psychologique et sexuel.

Bon. Par où commencer. J’ai pris du temps à commencer cette chronique, car je voulais d’abord trier mes idées, mes ressentis. ce bouquin, ce n’est pas un coup de coeur. Ça n’a pas été une lecture plaisir, un moment de douceur ou de détente. Mais plutôt un coup de poing dans la gueule et dans les tripes.
Comme vous l’aurez compris, le projet de l’autrice est de nous faire voir, vivre, sentir la guerre de Troie du point de vue des femmes, et notamment de Briséis. Briséis, c’est la reine d’une cité troyenne conquise par les grecs. Elle est arrachée à son quotidien, ses repères, et est attribuée à Achille, le plus grand de tous les guerriers grecs, comme trophée de guerre. D’autres femmes auront moins de chance qu’elle.
Les événements de cette guerre, on les connait, sur le bout des ongles. Des années de siège, la peste amenée par un dieu offensé, le cheval, puis la victoire, écrasante, totale, glorieuse. Oui, on a l’habitude de glorifier les événements de la guerre de Troie. Quelle leçon de stratégie militaire et politique ! Et puis les grecs quel peuple éclairé et intellectuel et OHLALA !
Et bien, Le silence des vaincues remet un peu les choses en place. Parce que ce qu’on oublie fréquemment, c’est que, oui, certes, les grecs étaient des stratèges. Mais une fois la  victoire remportée, c’était un peu la politique de la terre brûlée hein ? On tue tous les enfants mâles, histoire que les perdants ne puissent plus monter d’armée. Même les femmes enceintes y passent, au cas où. On pille toutes les richesses, on viole les femmes, le tout en se bourrant la gueule. Les grecs étaient un peuple guerrier, oui, avec toutes les facettes, bonnes ou mauvaises. Et ça fait du bien de le rappeler. C’est violent, c’est dur, mais c’est nécessaire.
Et toute cette violence, le lecteur et la lectrice la découvrent en même temps que le personnage principal. Et j’ai trouvé que la brutalité la plus importante était celle qui résidait dans le fait que les femmes ne sont que spectatrices de leurs destins. Dans ce roman, dans cette histoire, elles reprennent la parole, mais c’est pour raconter la guerre des hommes, les histoires des hommes, ce que les hommes décident de faire d’elles. On prend de plein fouet la mise de côté des femmes dans la société, la politique, même en temps de guerre, même lorsque les décisions les concernent. Elles sont là pour divertir, prêter main forte, servir. Mais penser ? S’exprimer ? Décider ? Jamais.
Finalement, Le silence des vaincues nous fait entendre ces femmes qui nous disent « regardez comme nous n’existons pas, prenez conscience que nous sommes là, sans l’être vraiment, prenez conscience que, parce que nous sommes des femmes, nos voix sont tues et n’ont aucun crédit. ». Une communauté de femmes, de filles, soeurs,  mères, grand-mères, émerge, et murmure entre les pages de l’histoire sans vraiment avoir le pouvoir d’en changer le cours. Et c’est terrible.

Autre point que je ne savais pas vraiment comment articuler avec le reste de l’article, donc je le mets là, sans transition : je trouve qu’il y a un parallèle assez intéressant à faire entre Le silence des vaincues et Le chant d’Achille de Madeline Miller (chroniqué ici). Dans ces deux titres, on redécouvre les événements par le prisme du « faible » d’Homère, d’un côté les femmes, de l’autre Patrocle. L’histoire grecque prend une nouvelle épaisseur à la lecture de ces romans, de nouvelles nuances, et, finalement, un peu plus d’humanité. D’ailleurs, dans le roman de Pat Barker, seul Patrocle semble réellement voir Briséis, et la considérer comme une personne et non une chose, et la sensibilité de ce personnage est un point commun à ces deux réécriture réécritures de ces textes.

En bref, ce livre redonne la parole à celles qu’on a effacées de l’Histoire, mais nous fait aussi comprendre qu’entendre ces voix n’est pas suffisant. Que la libération de la parole doit s’accompagner du droit d’être entendue, reconnue, visible, et du droit d’agir sur le monde, et de tenir les rennes de son propre destin. Et c’est un message assez universel, qui dépasse le cadre de la guerre de Troie et de la fiction. Un livre important, bien écrit, violent mais nécessaire, et qui marquera à jamais mes expériences de lecture.

En librairie le 25 août aux éditions Charleston

Un commentaire sur « Le silence des vaincues – Pat Barker »

  1. Je n’ai pas préféré lire toute la chronique pour découvrir intégralement le roman. Mais grâce à toi, j’ai découvert un roman que je compte lire le plus vite possible !

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