Les moulins de mon cœur – Analyse de texte

les moulins de mon coeur les mots d'arva

Musique : Michel Legrand
Texte : Eddy Marnay
Interprétation : Frida Boccara
(il existe plusieurs interprétations de cette chanson, je vous glisse ici ma préférée)

J’ai une véritable obsession pour cette chanson depuis que je l’ai (re)découverte grâce au générique de Tom à la ferme de Xavier Dolan, film que j’ai découvert avec ma meilleure amie (si tu passes par là ma poule, je t’aime). C’est simple, cette chanson me hante, je l’ai dans la tête constamment, et j’ai beau me la passer en boucle en mode « exorcisme par répétition sans fin », rien à faire. Et lorsqu’une chanson me hante, j’ai besoin de comprendre pourquoi, de décortiquer sa structure, de comprendre sa portée, son sens. Mes anciens réflexes de khâgne sont revenus, et ça fait un bien fou de retrouver ce rapport au texte, de reprendre son scalpel et se plonger dans le sens et la forme du poème. Je vous propose dans cette chronique un petit florilège de cette modeste analyse 🙂 Bon voyage !

paroles les moulins de mon coeur

Soyons clair dès le début, ce n’est pas qu’une chanson d’amour

C’est ce qu’on pourrait croire après la première écoute. Mais si on laisse bercer par ce va-et-vient de mots, on se rend compte que c’est bien plus que cela. C’est une chanson sur la vie, sur le paradoxe entre l’avancée inévitable du temps et son caractère cyclique.

Deux symboliques s’entremêlent dans le texte…

  1. La symbolique de la CIRCULARITÉ qui soulève une impression de spirale infernale, de répétition, de stagnation

Un champs lexical de la circularité, poétique et foisonnant, parcourt tout le texte et fait office de ciment.

circularité

A cela s’ajoute la triple répétition des deux vers :

Tu fais tourner de ton nom
Tous les moulins de mon cœur

D’abord, ces vers se font écho par leurs sonorités : on remarque que les sons /ou/ (dans la première partie du vers) et /on/ (dans la deuxième partie) sont répétés 3 fois dans un jeu de miroir.

Vers 1 : /ou/ x1 + /on/ x2
Vers 2 /ou/ x2 + /on/x1

Ces vers se font également écho par leur structure et leur sens. Je trouve que l’utilisation de l’heptasyllabe (vers de 7 pieds) ici est juste ma-gis-trale. On ne peut pas vraiment parler de « césure à l’hémistiche » (séparation du vers en deux parties égales). Cependant, ces vers sont tous deux composés de monosyllabes et d’un mot à deux syllabes qui marque leur point de bascule. Et, comme-par-hasard-mais-on-sait-tous-que-c’est-voulu, l’auteur a décidé que ces deux mots seraient « tourner » et « moulins », deux mots trempés jusqu’à l’os de cette symbolique de mouvement circulaire perpétuel. Un point de bascule qui fait constamment redescendre le sens vers son point de départ.

Tu | fais | tour//ner | de | ton | nom
Tous | les | mou//lins | de | mon | cœur

Ces deux vers résument à eux seuls tout le côté lancinant et la redondance cyclique de l’existence.

Je vous épargnerai toutes les occurrences de ce schéma, mais elles sont très nombreuses dans cette chanson, et participent de la construction de cette roue du temps.

  1. La symbolique de la fatalité, du TEMPS QUI PASSE INEXORABLEMENT et de l’impossibilité de retourner en arrière

Sur le plan du sens, cette symbolique semble entrer en contradiction avec celle de la circularité. Et cela se retrouve sur le plan de la forme, car lorsque l’une des symbolique est très présente, l’autre se fait discrète, et inversement.

parole les moulins de mon coeur

Ce qui est très intéressant, c’est que l’omniprésence de la symbolique de la fatalité intervient lors du climax de la chanson. Comme si le fond et la forme de l’œuvre souhaitaient s’échapper de cette roue infernale, de cette redondance musicale et lexicale. Pour les initiés, on entend d’ailleurs dans ce troisième mouvement une déstructuration du rythme et de la tonalité alors que les mouvements précédents sont d’une rigueur presque insoutenable (merci Michel Legrand et son amour du jazz !)

Mouvements 1 & 2 : gradation progressive dans le changement de tonalité, puis descente pour revenir sur la tonalité de départ. La structure des vers est relativement semblable. La fin est le début, là encore on est dans un cycle immuable.

Mouvement 3 : on était jusqu’alors en dans une ambiance mineure, lourde, lancinante et PAF, on plonge dans le majeur pendant plusieurs vers, la voix monte, les rythme se défont, les syllabes se lient ou s’enchainent en saccade.. Bref, c’est la rupture, on brise le cycle.

Le point d’orge de la chanson intervient juste avec l’allusion à Dieu. On peut y voir une épiphanie, une révélation divine. Moi, j’y vois une prise de conscience : certes, la vie n’est qu’une accumulation de jours, d’heures, de secondes, de moments. Mais le temps n’est pas une prison. Chaque instant est unique, et, même si ça fait peur, même si ça fait mal, on ne peut pas rester enfermé dans une boucle, il faut se construire et avancer (cf : prendre son envol / « tomber du nid »).

Mouvement 4 et conclusion de cette longue chronique : finalement, la circularité reprend ses droits de manière non dissimulée : répétition de la première strophe, reprise de la même tonalité que le tout début de la chanson. On replonge ?

« Au vent des quatre saisons ». Voilà la clé du texte. Intercalée entre la redite de la strophe 1 et les fameux vers « tu fais tourner de ton nom / tous les moulins de mon cœur », cette allusion au cycle des saisons change l’opposition entre la vision circulaire et linéaire du temps en un rapprochement qui fait sens. La boucle est réelle, dominante, emplie de nostalgie, mais elle avance, et c’est finalement grâce à elle que l’avenir se crée. La roue du temps ne tourne pas dans le vide. 

Voilà. C’est tout. Ce n’est pas une chanson qui dit « mon cœur bat plus vite quand tu es là ». C’est plus que cela.

Pour ceux qui sont arrivés jusqu’ici, merci d’avoir tenu bon ! Et bien sûr cette interprétation est subjective, libre à vous d’écouter cette magnifique chanson comme bon vous semble.

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19 commentaires sur « Les moulins de mon cœur – Analyse de texte »

    1. Excellente Analyse du Texte avec beaucoup d’Humour…
      On est persuadé que cet Immense Auteur-Compositeur qui nous à quitté pour la Nouvelle Année et portait déjà à merveiille son Nom, aurait bien apprécié : MICHEL LEGRAND !!!

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  1. Waouh *.* Faut que j’en prenne de la graine pour mes études littéraires ^^’ Est-ce que tu connais la chanteuse Ina Ich ? J’aime beaucoup ses chansons qui ont des paroles très percutantes, je te conseille Mes Erreurs ou alors Poupée Chérie :3

    Aimé par 1 personne

    1. Hello ! Cette étude de texte n’avait pas pour but d’étaler ma science, j’espère vraiment que ce n’est pas perçu comme ça ^^
      Sinon, nan je ne connais pas du tout ! Mais j’irai jeter un coup d’œil, merci pour le conseil ! 🙂

      Aimé par 1 personne

  2. Ton analyse est top! J aime tellement TOUT dans cette chanson ( rythme, paroles, mélodie). Elle me hante également ! Merci pour ton analyse qui me fait encore plus aimer ce texte magnifiquement écrit !!

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  3. EVY
    8 mars 2018
    Merci pour ton analyse qui m’éclaire un peu plus sur le sens de cette chanson. Je n’avais pas remarqué qu’il était aussi question du cycle du temps. Comme toi, je l’ai dans la tête sans cesse et même quand je me réveille. C’est une merveilleuse chanson .

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  4. EVY
    8 mars 2018
    Merci pour ton analyse. Je suis moi-même obsédée par cette chanson que je fredonne toute la journée et je me réveille souvent avec cet air dans la tête. C’est certainement dû au rythme parfait et aux merveilleuses paroles. Mais grâce à toi je peux m’apercevoir qu’en plus de l’amour et de la rupture il s’agit aussi du rythme du temps. C’est très beau.

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  5. Moi aussi je suis fascinee par cette chanson que je n Ai pas cesse de chanter, plus ou mois depuis 50 ans!
    Et oui, c est vrai, c est sur la separation, la mort Mai’s aussi la vie qui revient, le cycle incessant d une reincarnation. Celle que l on ressent dans cette vie ici et maintenant!
    La nature est la pour en etre le temoin. Le temoin silencieux d une chanson que l on chante,, que l on oublie et qui revient a l infini.
    Ca Donne le tourni mais on s y sent bien, c est le cycle de notre existence.
    J adore cette chanson et la chante encore et encore!

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  6. Bonjour
    Belle analyse. Pour moi, c’est plus un poème sur l’amour d’une personne et de son absence ressentie tout au long du temps qui passe. C’est le nom de l’être aimé qui fait tourner les moulins de son cœur et pas la personne elle-même qui est absente. L’absence est plus forte dans la dernière strophe où il manque la moitié des vers.
    Chaque seconde qui passe, il ressent son absence.
    Il le dit d’ailleurs dans la troisième strophe à la place qu’auraient du occuper les 2 vers récurents.

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  7. Merci pour ton analyse qui m’a beaucoup aidé à comprendre la chanson. Au début de ton analyse tu cites le film « Tom à la ferme », j’ai de la peine à voir la relation entre le film et la chanson. Aurais-tu une idée sur l’importance de cette chanson au début du film ?

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  8. Merci pour votre analyse si tardivement visitée, non seulement il s’agit de la vie, mais aux travers des mots empruntés, une pierre qui tombe me fais penser à tomber amoureux quand on suppose l’apesanteur qui ralentit sa course sans qu’on la voit comme aveuglément, quant aux ronds qu’elle ferait dans l’eau vive d’un ruisseau, l’onde ici vive qui coure et dans la réalité en empêcherait les ronds par milliers, l’onde où chacun peut ou pas voir troublé d’émotion la chute de la pierre au travers, que les ronds en autant de vague comme des souvenirs sculpent la mémoire psychique retenue tout en émotion, celle qu’on transporte jusqu’à la fin, c’est aussi une magnifique suggestion surréaliste, impossible dans la réalité mais rendu possible dans l’imaginaire, que chacun pour l’avoir vécu de près ou de loin peut s’en faire l’interprète. La jeunesse du coeur intemporelle quand on aime qu’on est trois ans ou même cent ans. Le psychisme qui métamorphose au travers du temps ce qui fait des moulins en son for intérieur parce qu’on sent et souvent on ressent ne ride pas la personne derrière même ses rides corporelles. Mais vous êtes très forte dans votre analyse. Merci
    J’adore Michel Legrand et j’ai aimé aussi l’affaire thomas Crown film de 68 avec Fate Dunaway et Steeve McQueen. Et sa musique me bouleverse.

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  9. Une pluie de paraboles
    Qui lacère les soupirs
    D’un amour silencieux
    Et ce cycle du temps long
    Qui grisonne les cheveux
    Aux tempêtes des saisons
    C’est l’Affaire d’une chanson
    Immortelle en sa passion.
    Dominique Neau

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  10. Merci.. De partager l’obsession. . Il y a quelques chansons comme ça. .. Ça fait du bien de lire des choses intelligentes.

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